Abstract

Alors que le « tournant numérique » dans les études africaines prend de l'ampleur, ce panel explore le potentiel de transformation et les défis critiques des humanités numériques (DH) et de l'intelligence artificielle (IA) dans ce domaine. Nous examinons leur impact sur la production, la diffusion et l'interprétation des connaissances sur l'Afrique, en abordant tout particulièrement l'anglocentrisme persistant et la « fracture numérique ».

Nous invitons les auteurs à présenter des applications innovantes des méthodes numériques dans les études africaines.

Les sujets peuvent inclure :

1. Innovations méthodologiques

- Approches numériques pour explorer les appartenances africaines, afropolitaines et afropéennes à travers l'analyse textuelle et visuelle;

- Analyse par l'IA de contenus africains numérisés (par exemple, traitement du langage naturel, reconnaissance des entités nommées);

- Enseignement de l'histoire africaine à l'aide d'outils numériques.

2. Perspectives critiques

- Aborder l'« impérialisme numérique » (Breckenridge 2014) et le « complexe du sauveur numérique » (Shringarpure 2020) en relation avec la positionalité et la construction des connaissances;

- Considérations éthiques dans l'application des méthodes de DH à des contextes culturellement sensibles.

3. Production et diffusion des connaissances

- Plates-formes numériques pour la production de connaissances alternatives et publiques axée sur les perspectives africaines;

- Stratégies pour surmonter la numérisation sélective et les hiérarchies coloniales dans l'archivage numérique;

- Projets numériques collaboratifs transnationaux et transcontinentaux qui remettent en question les paradigmes établis dans le Nord.

Ce panel organisé par Frédérick Madore et Vincent Hiribarren fait suite à la réflexion entamée a l'ECAS2025. Il vise à présenter des recherches transdisciplinaires de pointe dans le monde francophone qui utilisent des méthodes numériques pour explorer les complexités des réalités, des identités et des systèmes de connaissance africains. En encourageant le dialogue sur le potentiel et les pièges des approches numériques, nous souhaitons contribuer à un paysage numérique plus inclusif, plus diversifié et plus critique dans les études africaines.

Publication Details

Event
9èmes Rencontres des études africaines en France (REAF)
Location
Paris
Country
France
Language
French
Year
2026

Papers in this Panel

Intelligence artificielle et patrimonialisation : entre indexation automatisée et perte de sens

Mbaye Diouf (Université Cheikh Anta Diop de Dakar)
Dans un contexte de multiplication et de numérisation des archives audiovisuelles, l'intelligence artificielle (IA) s'affirme comme un levier incontournable dans les processus d'indexation et de mise en valeur du patrimoine. Cette communication interroge les effets de l'automatisation sur la construction du sens, en particulier dans le cadre du traitement des patrimoines immatériels africains. À partir d'une étude de cas centrée sur le Xooy, cérémonie divinatoire sérère reconnue comme patrimoine immatériel au Sénégal, l'analyse met en évidence les limites des systèmes algorithmiques face à la complexité des savoirs rituels, des langues vernaculaires et des contextes d'énonciation. L'indexation automatisée, bien qu'efficace, peut également engendrer des réductions sémantiques, des ruptures contextuelles et une occultation des logiques culturelles sous-jacentes de ce réservoir complexe de savoirs oraux, de pratiques symboliques et de cosmologies locales. En mobilisant les apports de l'histoire culturelle, les études critiques sur les données et de l'anthropologie du numérique, cette communication plaide pour une patrimonialisation hybride, combinant intelligence artificielle et médiation humaine, afin de préserver la pluralité interprétative et la mémoire située des pratiques culturelles.

Du terrain aux algorithmes : l'intelligence artificielle au service de la linguistique historique africaine

Promise Dodzi Kpoglu (LLACAN, Centre national de la recherche scientifique)
La linguistique africaine a longtemps intégré les innovations technologiques dans la documentation et la description. Toutefois, les avancées récentes en intelligence artificielle ouvrent la voie à ce que celles-ci dépassent leurs fonctions traditionnelles pour devenir des outils d'analyse et de la théorisation. Cette étude explore cette question à partir des langues dogons, dont la documentation est riche, mais dont l'étude historique reste limitée par la rareté des données adéquates et l'inaccessibilité du terrain. Je montre comment des corpus initialement destinés à la description peuvent être mobilisés dans un cadre computationnel afin d'aborder des problématiques historiques. Ainsi, en combinant un modèle de simulation bayésienne et un modèle d'apprentissage profond, l'étude examine la trajectoire diachronique d'un sous-groupe de langues dogon. L'idée est de modéliser les dynamiques d'innovation lexicale, d'emprunt et d'héritage afin d'identifier les processus responsables de la diversité actuelle. Les résultats suggèrent que, contre l'hypothèse existante, la diversité s'explique moins par des emprunts massifs que par un processus interne de changement. Au-delà du cas dogon, les résultats démontrent le potentiel de l'intelligence artificielle à renouveler la linguistique africaine, en permettant d'explorer des questions autrefois limitées par les contraintes de terrain et la rareté des données appropriées. Cette étude invite donc à repenser, de manière générale, la place du numérique dans la linguistique africaine, non plus seulement comme un instrument de traitement et de documentation, mais comme un véritable vecteur de renouvellement analytique et théorique.

Quels impacts de l'IA sur les sciences humaines ?

Racine Oumar N'Diaye (Université de Nouadhibou)
L'Intelligence Artificielle (IA) est l'ensemble des théories et techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l'intelligence humaine. L'IA, classée dans le domaine des sciences dites cognitives peut-elle être utile aux humanités, plus précisément à l'Histoire ? Certes, l'IA favorise considérablement l'individualisation des parcours. Elle permet de travailler sur le tutorat intelligent et au plus près des besoins de l'apprenant, de son rythme, etc. Mieux, elle prend en compte le profil au plus près de son évolution, elle permet ainsi d'aller vers « l'educational data mining ». Cet ensemble permet de faire évoluer le scénario même de l'apprentissage. Est-ce suffisant ? Nous pensons que non ! La limite opérationnelle ne se situerait pas sur les représentations d'ordres gestuels et de postures ? Les techniques du métier par exemple, les savoirs faire, les savoirs-être et les savoirs faire-faire qui relèvent de l'intelligence adaptative, les apprentissages comportemental et situationnel sont-ils bien pris en compte ? Qui plus est, une dimension émotionnelle, inconsciente s'invite dans l'histoire. L'histoire est à la recherche de l'homme et des pistes de son évolution. Les IA s'occupent-elles de l'HOMME ? Mettent-elles l'humain au centre de leurs préoccupations ? Leur gestion de cette donne demeure complexe. Cet état de fait expliquerait, en partie, que toutes les technologies disruptives aient eu leur part de peur et d'inconnu. D'autre part, les études ont démontré que l'on pouvait réellement apprendre à travers les environnements fournis et dédiés par les IA. Ils permettent une intégration de tuteurs dits intelligents et des scénarios. Des essais très manichéens comme la « guerre des intelligences », « Intelligence Unleashed » et « The Impact of AI on Learning, Teaching, and Education » ont vu jour. Mais cet imbroglio scientifique et technique peut-il remplacer l'historien ? Non ! C'est une technologie de rupture où on doit mettre de l'éthique. L'IA, outil complémentaire des humanités, doit entretenir des interactions avec celles-ci : d'une part, l'intelligence artificielle doit permettre d'élargir le champ d'étude des disciplines en question en y apportant de nouveaux outils, et, d'autre part, les humanités doivent pouvoir concevoir des paradigmes et méthodes permettant de mieux analyser les impacts sociétaux de celle-ci. Nous devons nous orienter vers des approches qui stipulent une hypothèse de bonne entente, et qui favorisent une cohabitation efficiente et pacifique entre cette intelligence dite artificielle et celle du cerveau car l'intelligence naturelle demeure, de nos jours, irremplaçable encore.

Retrouver la révolte malgache de 1947. Le deep learning appliqué aux inventaires de destruction.

Naomi Bell (Institut des Mondes Africains (IMAF))
Dans cette communication, nous allons montrer quelques résultats d'un projet de recherche en cours, mené dans le cadre d'une thèse de doctorat, qui vise à réexaminer la révolte malgache de 1947 par le prisme des dégâts matériels, recensés dans des inventaires de pertes, grâce à l'usage du deep learning. L'objectif est double : mieux comprendre l'ampleur des destructions matérielles et interroger ce que le deep learning, en tant que méthodologie, permet de voir dans un contexte colonial marqué par les rapports de domination. Le contexte colonial malgache constitue un terrain d'expérience privilégié pour expérimenter les apports du deep learning. D'une part, les dossiers d'indemnisation produits par l'administration coloniale une documentation abondante, normative et fortement structurée, qui se prête à un traitement sériel. D'autre part, l'hétérogénéité de ces archives, mélangeant formulaires, structures tabulaires, imprimés et manuscrites, offre un cas d'étude pour tester l'efficacité du deep learning. À cela s'ajoutent les enjeux linguistiques liés à la coexistence du français et du malgache. Comment l'entrainement d'un modèle de deep learning pour affronter cette documentation peut être envisagé pour relire la révolte malgache de 1947 ? D'abord, j'analyserai comment cette documentation, produite selon des logiques administratives propres, a façonné une représentation particulière des destructions imputées aux insurgés. Cette première partie permettra de parler aussi de la mise en sens de la donnée au sein des inventaires de pertes. Je présenterai ensuite, les différentes stratégies de traitement appliquées à cette documentation. J'exposerai à la fois les avancées et les limites rencontrées. Enfin, deux ou trois études de cas permettront d'illustrer concrètement la manière dont cette approche transdisciplinaire reconfigurer l'analyse de la révolte malgache de 1947 et ouvre de nouvelles perspectives d'interprétation.

Retour sur une note de synthèse analysant la relation entre Humanités Numériques, l'IA et les Études Africaines (Hanovre, février 2025)

Frédérick Madore (Université de Bayreuth)Vincent Hiribarren (King's College London)
Dans ce papier, Frédérick Madore et Vincent Hiribarren analysent le contenu d'une note de synthèse préparée par une équipe de trente chercheur.es et praticien·nes en Humanités numériques sur le rapport entre Humanités numériques, l'IA et études africaines (financement Fondation Volkswagen) en février 2025. Cette note de synthèse s'attarde principalement sur les trois points suivants 1) Intégration méthodologique et préservation numérique 2) Favoriser une collaboration équitable 3) Cadre éthique et souveraineté numérique.

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