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Abstract

Cette communication vise à explorer les défis éthiques liés à la numérisation et à la diffusion en ligne de sources primaires ainsi qu’à discuter de la décolonisation des humanités numériques, en prenant pour exemple la Collection Islam Afrique de l’Ouest (https://islam.zmo.de/s/afrique_ouest). Ce projet, hébergé par le Leibniz-Zentrum Moderner Orient (ZMO), est une base de données numériques collaborative et en libre accès qui contient plus de 5000 documents d’archives, articles de presse, publications islamiques de toutes sortes, enregistrements audio et vidéo et photographies sur l’islam et les musulmans au Burkina Faso, au Bénin, au Niger, au Nigéria, au Togo et en Côte d’Ivoire. Le site inclut également plus de 800 références sur le sujet. Ce projet s’inscrit dans le prolongement de la Collection Islam Burkina Faso, qui a été créée en 2021 en partenariat avec l’Université de Floride, et souligne l’importance de repenser les pratiques dans les humanités numériques sous un angle décolonial. Depuis les années 2000, un nombre croissant d’initiatives de numérisation se concentrant sur l’Afrique ont été entreprises par des bibliothèques, centres d’archives et musées. La disponibilité croissante de ressources en ligne, qu’elles soient gratuites ou payantes, a ouvert des perspectives de recherche sans précédent. Dans ce contexte, certains ont souligné la montée d’un « tournant numérique » dans les études africanistes (Chamelot, Hiribarren et Rodet 2020). Néanmoins, une récente évolution critique en humanités numériques (Zaagsma 2022), appelle à une évaluation approfondie des implications méthodologiques et épistémologiques de ces approches en sciences humaines. La sélectivité inhérente aux programmes de numérisation soulève des préoccupations, particulièrement en termes de renforcement des silences et biais archivistiques. La prédominance de la recherche par mots clés peut conduire à négliger les documents non numérisés ou difficilement accessibles (Hitchcock 2013; Daly 2017). La « fracture numérique », caractérisée par un accès inégal à Internet, demeure un obstacle majeur (Barringer et Wallace 2014). De plus, l’archivage numérique tend souvent à reproduire les hiérarchies coloniales, car la plupart des programmes sont financés par des institutions occidentales ou des entreprises privées qui privilégient le profit à la libre diffusion des connaissances (Chamelot, Hiribarren et Rodet 2020; Fouéré, Rillon et Pommerolle 2020). Cela a donné lieu à des critiques d’« impérialisme numérique » (Breckenridge 2014) et de « complexe du sauveur numérique » (Shringarpure 2020), faisant écho à l’observation de Limb selon laquelle « les missionnaires du XXIe siècle ne portent pas de bibles, mais des scanners » (2007, 23). Répondant aux appels à la décolonisation des connaissances sur l’Afrique, la Collection Islam Afrique de l’Ouest s’inscrit dans le cadre des principes FAIR, visant à rendre les données de recherche trouvables, accessibles, interopérables et réutilisables. Ce projet s’aligne également sur l’éthique de la science ouverte, promue par l’UNESCO (2021), favorisant la libre disponibilité et l’accessibilité des connaissances scientifiques. En adhérant aux principes FAIR et aux CARE Principles for Indigenous Data Governance, nous mettons l’accent sur la collectivité, la responsabilité et l’éthique, tout en privilégiant le partage et la durabilité des connaissances. Concernant l’éthique de la numérisation des archives, nous prenons en compte les sensibilités culturelles et les préoccupations liées à l’« extractivisme numérique ». Notre approche vise à équilibrer respect et intégrité financière des institutions locales. Là où la numérisation n’est pas possible, nous nous concentrons sur le catalogage, respectant l’autonomie des dépositaires locaux dans la gestion de leur patrimoine culturel. Lorsque la numérisation est autorisée, nous adhérons à des pratiques éthiques, créditant les sources et identifiant les détenteurs des droits. Enfin, la Collection Islam Afrique de l’Ouest comporte majoritairement des documents en français, reflétant une perspective orientée sur les musulmans francophones éduqués à l’occidentale, au détriment des arabisants et non-francophones formés dans les madrasas et universités islamiques, qui utilisent l’arabe et des langues nationales pour communiquer avec un public plus large. Pour contrer cette prédominance francophone, la Collection, dans la prochaine phase du projet, intégrera des témoignages oraux en langues locales, recueillis auprès d’érudits et de personnalités musulmanes. Cette initiative, en collaboration avec des chercheurs et universités ouest-africaines, vise non seulement à offrir une représentation plus nuancée et complète de l’histoire et de l’évolution de l’islam en Afrique de l’Ouest, mais s’inscrit aussi dans un effort plus large pour dépasser la tendance anglocentrique et occidentale en humanités numériques.
Event: 12th International Conference on Mande Studies
Location: Institut des Sciences Humaines
Country: Mali
Language: French
Year: 2024

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